Les deux Pigeons
"Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre."
Fiami a partagé cette fable avec l'écrivaine-journaliste Martina Chyba
Les deux Pigeons
par Jean de La Fontaine
Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux s'ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L'absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux. Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le cœur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint ;
Vous y croirez être vous-même.
À ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès ; cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las,
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé ! si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt ; et le pis du destin
Fut qu'un certain Vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un Aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde et, du coup, tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna.
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;
J'ai quelquefois aimé ! je n'aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune Bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?
Ai-je passé le temps d'aimer ?
La fable du pigeon voyageur
par Pilpay
Sire, dit le vizir, il y avait deux pigeons qui vivaient heureux dans leur nid, à couvert de toutes les injures du temps et contents d'un peu d'eau et de graines. C'est un trésor d'être dans la solitude lorsque l'on y est avec son ami ; et l'on ne perd point à quitter pour lui toutes les autres compagnies du monde. Mais il semble que le destin n'ait autre chose à faire dans ce monde que de séparer les amis. L'un de ces pigeons se nommait l’Aimé et l'autre l'Aimant. Un jour l’Aimé eut envie de voyager, il communiqua son dessein à son compagnon. « Serons-nous toujours enfermés dans un trou ? » lui dit-il, « Pour moi, j'ai résolu d'aller quelques jours par le monde. Dans les voyages, on voit tous les jours des choses nouvelles, on acquiert de l’expérience. Les grands ont dit, que les voyages étaient des moyens pour acquérir les connaissances que nous n'avons pas. Si l’épée ne sort de son fourreau, elle ne peut montrer sa valeur, et si la plume ne fait sa course sur l'étendue d'une page, elle ne montre pas son éloquence. Le Ciel, à cause de son perpétuel mouvement, est au-dessus de tout, et la Terre sert de marchepied à toutes les créatures parce qu'elle est immobile. Si un arbre pouvait se transporter d’un lieu à un autre, il ne craindrait pas la scie ni la cognée, il ne serait pas exposé aux mauvais traitements des bûcherons ». « Cela est vrai , lui dit l’Aimant, mais mon Cher Compagnon, vous n’avez jamais souffert les fatigues des voyages et vous ne savez ce que c'est que d'être dans les pays étrangers. Le voyage est un arbre qui ne donne pour tout fruit que des inquiétudes.»
« Si les fatigues des voyageurs sont grandes, répondit l’Aimé, elles sont bien récompensées par le plaisir qu'ils ont de voir mille choses rares et quand on s'est accoutumé à la peine, on ne la trouve plus étrange. »
« Les voyages, repris L’Aimant, ne sont agréables que lorsqu'on les fait avec ses amis: car quand on est éloigné d’eux, ou qu'on est exposé aux injures du temps, on a la douleur encore de se voir séparé de ceux qu'on aime. Ne quittez donc point un lieu où vous êtes en repos et l'objet que vous aimez. »
« Si ces peines paraissent insupportables, répartit l'Aimé, en peu de temps je serai de retour. » Après cette conversation, ils s'embrassèrent, se dirent adieu, et se séparèrent. L’Aimé sortit de son trou comme un oiseau qui s'échappe de sa cage. Il prit plaisir à regarder les montagnes et les jardins. Quand il fut arrivé au pied d'une colline où plusieurs fontaines bordées de beaux arbres arrosaient de charmantes prairies, il résolue de passer la nuit dans un lieu qui ressemblait effectivement au paradis terrestre. Mais à peine était-il posé sur un arbre, que l’air s’obscurcit. Les éclairs bientôt commencèrent à frapper la vue et le tonnerre fit retentir toute la campagne. La pluie et la grêle faisaient voltiger de branche en branche ce pauvre pigeon qui ne savait où se mettre pour éviter les coups qu'il recevait. Il passa si mal la nuit qu'il se repentit d'avoir quitté son camarade. Le lendemain matin, le soleil ayant dissipé les nuages, l’Aimé partit pour retourner chez lui, mais un épervier qui avait bon appétit, aperçut notre voyageur et vola vers lui à tire-d'aile. À cette vue, le pigeon, tremblant, désespéra de revoir jamais son ami et regrettant de n'avoir pas suivi ses conseils, protesta que s'il pouvait échapper de ce péril, il ne songerait jamais plus à voyager. Cependant l'épervier le joignit. Il était sur le point de le mettre en pièces, lorsqu’un aigle affamé et devant qui rien ne pouvait se sauver, vint fondre sur l’épervier en lui disant: « Laisse-moi manger ce pigeon en attendant que je trouve quelque chose de plus solide. » L’épervier qui avait autant de cœur que de faim, ne voulait pas céder à l'aigle, et ces deux oiseaux volèrent l'un contre l’autre. Le pigeon s'échappa de leurs griffes et remarqua un trou qui était si petit qu’à peine moineau aurait pu y entrer. Il se glissa dedans et y passa la nuit avec une extrême inquiétude. Il en sortit à la pointe du jour. La faim l’avait rendu si faible qu'il ne pouvait presque plus voler. Il n'était pas encore bien revenu de la frayeur qu'il avait eu le jour précédent; il regardait de tout côté si l'épervier ou l’aigle ne paraissaient point, lorsqu’il vit dans un champ, un pigeon auprès duquel il y avait beaucoup de grain. L’Aimé s’en approcha avec confiance : mais il n’eut pas plutôt bèqueté quelque grain qu'il se sentit arrêté par les pieds. Les plaisirs de ce monde sont des pièges que le diable nous tend.
« Frère, dit L’Aimé au pigeon, nous sommes d'une même espèce, pourquoi ne m'as-tu pas averti de cette perfidie? J'aurais pris garde à moi et ne serais pas tombé dans ces filets. » L'autre lui répondit: « Cesse de me tenir ce langage, personne ne peut prévenir son destin, toute la prudence ne peut garantir d'un accident inévitable. » Enfin l’Aimé le pria de lui enseigner quelque expédient pour sortir de cet embarras, disant qu'il lui en saurait une obligation éternelle. « Ô innocents, lui répondit l'autre, si je savais quelque moyen, je m'en servirais pour me délivrer moi-même et je ne serais pas la cause de la prise de mes semblables. Tu ressembles à ce petit chameau qui, las de marcher, disait à sa mère en pleurant : « Ô mère sans affection, au moins arrête un peu, que je prenne haleine pour me délasser. » Sa mère lui répondit: « Ô fils sans considération, ne vois-tu pas que ma bride est dans les mains d'un autre: si j'étais libre, je jetterais le fardeau que je porte, et je te soulagerais. » Enfin le désespoir prêta des forces à notre voyageur, qui se tourmentant de telle sorte, rompit le filet qui tenait son pied. Profitant de ce bonheur inespéré, il s'envola du côté de sa patrie. La joie qu’il eut d'être échappé d'un si grand péril lui fit oublier la faim. En volant il passa par un village et se mit sur une muraille, qui était vis-à-vis d'un champ qu'on avait nouvellement semé. Un paysan qui gardait ses grains, de peur que les oiseaux ne les vinrent manger, apercevant le pigeon mit une pierre dans sa fronde et la jeta au pauvre pigeon. Il fut frappé si rudement, qu'il tomba tout étourdi dans un puits au pied de la muraille. Ce puits était si profond qu'en 24 heures on n’eut pu descendre jusqu'au fond avec une corde. Si bien que le paysan ne pouvant en retirer sa proie, la laissa dedans et n'y pensa plus. Le pigeon y resta pendant une nuit, le cœur triste et l’aile à demi rompue. Il regretta un million de fois l’heureux séjour de son ami. « Cher séjour disait-il, où je voyais un objet que je ne devais jamais quitter, que puis-je faire pour te revoir? »
Le lendemain pourtant, il fit de si grands efforts qu'il sortit du puits, et il arriva enfin auprès de son nid. L’Aimant entendant le bruit de l'aile de son compagnon vola avec une extrême joie au-devant de lui. Le voyant si faible et si abattu, il lui en demanda la cause. L'autre lui raconta toutes ses aventures, en protestant de n’y retourner jamais et de ne plus faire de voyage.
« J'ai apporté cet exemple à votre majesté, afin qu'elle ne préfère pas le repos dont elle jouit, aux incommodités des voyages. » dit le vizir. « Sage vizir, dit le roi, il est vrai que les voyages ne sont pas sans peine, mais il est vrai aussi qu'on en tire de grands profits et d'utiles connaissances. Si un homme ne sortait jamais, il serait privé de la vue et de la jouissance d'une infinité de belles choses. Les faucons sont honorés parce qu'ils sont souvent sur la main des rois et qu'ils quittent la vie oisive qu'ils vivaient dans leur nid. Au contraire, les hiboux sont méprisés parce qu'ils sont toujours dans les ruines et dans les ténèbres, et qu'il se plaisent à mener une vie retirée. Il faut se lever comme le faucon et se promener. Et non pas se cacher comme le hibou. Quiconque voyage se rend agréable à tout le monde et les gens d'esprit se plaisent à l'entretenir. Il n'y a rien de plus net que l'eau qui coule, mais lorsqu'elle est arrêtée et croupie, elle se trouble. Si le faucon qui était nourri dans le nid du corbeau, ne fut pas sorti pour voyager, il ne serait pas parvenu à une autre condition. » Le vizir pria le roi de lui compter cette fable ce qu'il fit de la sorte...