Les animaux malades de la Peste

"Selon que vous serez puissant ou misérable..."

Fiami a partagé cette fable avec des adolescent-e-s au Château de Voltaire.
Un régal!

À Monseigneur le Dauphin
La fable manuscrite et colorée
par Fiami


Les Animaux malades de la Peste

par Jean de La Fontaine

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d'honneur.
Et quant au Berger l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de Moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.


La confession de l'Âne, du renard
et du Loup
par Guillaume Haudent (1547)

Il s'agit d'un âne, d'un renard et d'un loup qui se rencontrent par hasard allant à Rome, et le renard propose à ses compagnons de se confesser l'un à l'autre leurs iniquités. Le loup de Normandie s'accuse d'avoir dévoré une laie qui négligeait ses petits... et les petits, parce qu'ils n'avaient plus de mère pour s'occuper d'eux. Le renard, de son côté, a croqué bellement un méchant coq, qui déchirait tous les habitants de la basse-cour avec ses ergots ; et, par charité, il a fallu se résigner à abréger la vie des poules, languissantes et désolées d'être veuves. Les deux compères s'absolvent avec une indulgence réciproque. Mais ils condamnent un malheureux baudet, qui a mangé la paille des sabots de son maître ; et ils se chargent d'exécuter la sentence en déjeunant aux dépens du pauvre sire.

 


Le Lion, le Loup et l'Âne
Guillaume Guéroult (1507 - 1569)

Le fier lion, cheminant par la voie,
Trouva un loup, et un âne bâté,
Devant lesquels tout court à est arrêté,
En leur disant : Jupiter vous convoie.

Le loup, voyant cette bête royale
Si près de soi, la salue humblement :
Autant en fait l’âne semblablement,
Pour lui montrer subjection loyale.

O mes amis, maintenant il est heure
(Dit le lion) d’ôter les grands péchés
Desquels nos cœurs se trouvent empêchés :
Il est besoin que chacun les siens pleure.

Et pour avoir de la majesté haute
Du dieu des cieux pleine rémission,
Il sera bon qu’en grand’ contrition
Chacun de nous confesse ici sa faute.

Ce conseil fut de si grand’ véhémence,
Qu’il fut soudain des autres approuvé,
Dont le lion fort joyeux s’est trouvé ;
Et ses péchés à confesser commence :

Disant qu’il a par bois, montaigne, et plaine,
Tant nuit que jour, perpétré divers maux,
Et dévoré grand nombre d’animaux,
Bœufs et chevreaux, et brebis portant laine,

Dont humblement pardon à Dieu demande,
En protestant de plus n’y retourner.
Ce fait, le loup le vient arraisonner;
Lui remontrant que l’offense n’est grande.

Comment, dit-il, seigneur plein d’excellence,
Puisque tu es sur toutes bêtes roi,
Te peut aucun établir quelque loi,
Vu que tu as sur icelle puissance ?

Il est loisible à un prince de faire
Ce qu’il lui plaît, sans contradiction :
Pourtant, seigneur, je suis d’opinion
Que tu ne peux, en ce faisant, mal faire.

Ces mots finis, le loup, fin de nature,
Vint réciter les maux par lui commis ;
Premièrement, comme il a à mort mis
Plusieurs passants, pour en avoir pâture ;

Puis, que souvent, trouvant en lieu champêtre
Moutons camus de nuit enclos es parcs ,
Il a bergier et les troupeaux épars,
Pour les ravir, afin de s’en repaître :

Enfin qu’il a, en suivant sa coutume,
Fait plusieurs maux aux juments et chevaux,
Les dévorant et par monts et par vaux,
Dont il en sent en son cœur amertume.

Sur ce répond (en faisant bonne mine)
Le fier lion : Ceci n’est pas grand cas ;
Ta coutume est d’ainsi faire, n’est pas?
Outre à cela t’a contraint la famine.

Puis dit à l’âne : Or, conte-nous ta vie,
Et carde bien d’en omettre un seul point ;
Car, si tu faux, je ne te faudrai point ,
Tant de punir les menteurs j’ai envie.

L’âne, craignant de recevoir nuisance ,
Répond ainsi : Mauvais sont mes forfaits,
Mais non si grands que ceux-là qu’avez faits,
Et toutefois j’en reçois déplaisance.

Quelque temps fut que j’étois en servage
Sous un marchand qui bien se nourrissoit ,
Et au rebours pauvrement me pansoit,
Combien il eût de moi grand avantage.

Le jour advint d’une certaine foire,
Où, bien monté sur mon dos, il alla ;
Mais arrivé, jeun il me laissa là,
Et s’en va droit à la taverne boire.

Marri j’en fus (car celui qui travaille,
Par juste droit doit avoir à manger),
Où je trouvai, pour le compte abréger,
Ses deux souliers remplis de bonne paille :

Je la mangeai sans le su de mon maître.
En ce faisant j’offensai grandement,
Dont je requiers pardon très humblement,
N’espérant plus telle faute commettre.

O quel forfait ! ô la fausse pratique !
Ce dit le loup fin et malicieux ;
Au monde n’est rien plus pernicieux
Que le brigand ou larron domestique.

Comment ! la paille aux souliers demeurée
De son seigneur manger à belles dents ?
Et si le pied eût été là-dedans,
Sa tendre chair eût été dévorée.

Pour abréger, dit le lion à l’heure,
C’est un larron, on le voit par effet ;
Pour ce, il me semble et j’ordonne de fait,
Suivant nos lois anciennes, qu’il meure.

Plus tôt ne fut la sentence jetée
Que maître loup le pauvre âne étrangla ;
Puis de sa chair chacun d’eux se soûla.
Voilà comment et fut exécutée.

Parquoi appert que des grands on tient compte
Et malfaisants qu’ils sont favorisés ;
Mais les petits sont toujours méprisés,
Et les fait-on souvent mourir de honte.

 


Fable 1 de la XIIIème et dernière nuit des "Facétieuses Nuits"
par Giovanni Francesco Straparola

Un loup un regnard et un asne se confessent l'un l'autre les deux premiers
s'entrepardonnent puis d'un commun accord dévorent le pauvre asne soubs couleur d'une légère faulte qu'il dict avoir faict.

 

Au temps passé que les bestes parloient le loup le regnard et l'asne deliberèrent un jour aller à Rome gaigner les pardons. Advint que comme ils cheminoient de compagnie devisans de plusieurs choses le loup à qui les pieds commençoient à faire mal dict aux autres. Mais mes frères à quoy nous travaillons nous ainsi en l'accomplissement d'un tant long et fascheux voyage veu que ne sommes asseurez y trouver ce que nous y allons chercher. Et quoy pensez vous point par vostre foy que le pape ne soit assez empesché ailleurs et n'ayt autres affaires à desmesler qu'à escouter parler des pauvres bestes telles que nous sommes ? Certes je croy bien que ouy c'est pourquoy je serois d'advis si le trouvez bon que sans davantage nous tuer le cœur et le corps et nous hazarder aux dangereux inconveniens qui journellement adviennent aux voyageurs nous de meurassions icy et sans passer plus oultre nous confessassions l'un l'autre et que chacun de nous selon la gravité de ses pechez receust la penitence et absolution par son compagnon. Ce que les autres accordèrent. Au moyen de quoy ce maistre loup commença et se jettant à genoux aux pieds du regnard en s'accusant dict ainsi. Je vy ces jours passez une truye qui avoit douze petits cochons laquelle grasse refaite et en bon point s'alloit tous les jours pour mener aux champs et prendre du bon temps sans se soucier de ses petits que elle laissoit mourir de faim en la maison. A raison de quoy et ne pouvant souffrir une telle impiété et mauvais naturel de mère je la devoray. Après me souvenant que ces petits cochonnetz n'avoient plus qui leur baillast à tetter meu à compassion je les mangeay tous les uns après les autres affin de les oster de ceste misère. J'ay commis ces choses mais à bonne intention toutesfois où j'auray offensé j'en demande pardon et absolution. Et disoit ceste bonne beste tout cecy en pleurant faisant la meilleure mine du monde. Adonc le regnard luy dict Frère ton peché n'est pas grand pource que tu as eu commise ration des pupiles pour ta penitence je t'ordonne et t'enjoincts que tu n'assailles jamais que par le derrière tous animaux cornuz si tu ne veux estre blessé de la corne. Cela faict et le loup s'estant levé le regnard se prosterna devant luy disant : Un bon villageois avoit un coq si meschant et querelleux qu'il battoit tous ceux de ses voisins et se voyant victorieux chantoit si haut et souvent qu'il estourdissoit tout le monde et ne molestoit seulement ceux qui estoient malades mais jour et nuict rompoit la teste aux plus sains à raison de quoy ne pouvant plus supporter son audacieuse gloire un jour comme il se pourmenoit avec ses femmes je luy mis la main sur le col et l'estranglay à belles dents et le devoray. Depuis ses femmes faschées de se veoir vefves et par moy privées de leurs amours m'en ont tellement voulu qu'elles n'ont jamais cessé me poursuivre à belles injures tant que n'en pouvant plus je fu contrainct leur monstrer que cela me desplaisoit de mode qu'en ayant attrappé la plus grande partie je les ay mangées. J'ay peché je le confesse je m'en repen et vous en demande l'absolution. A quoy le loup : Tu as bien faict d'avoir ainsi chastié et l'orgueil du coq et l'injurieuse insolence des poules et encores qu'en cela tu n'ayes beaucoup offensé si ne me veux je monstrer envers toy tant indulgent comme tu m'as esté ainsi t'enjoincts pour ta penitence que par trois vendredis consecutifs si tu n'as de la chair tu t'astienne d'en manger. Va en paix. Puis se retournant vers l'asne luy dict. Et toy frère qu'attens-tu que ne viens à confesse? Qu'as-tu faict ? Respond le pauvre asne : Que voulez vous que je vous confesse. Vous sçavez les longs travaux et grands tourmens que sans cesse et continuellement à toute heure je suis contrainct endurer portant incessamment bleds farines boys fumier bref tout ce que l'on peult dire avec un nombre infiny de lourds pesans et meurtriers coups de baston. Toutes fois puisque il faut confesser verité je pense avoir offensé en une seule chose c'est qu en me jouant dernierement je fis sortir trois ou quatre brins de paille des souliers au serviteur qui m'a voit en sa charge lesquels je mangé et croy qu'à cette occasion il a enduré quelque froid aux pieds j'ay failly en cela je le confesse je m'en repent vous suppliant humblement avoir pitié et misericorde de moy et m'ordonner penitence digne de mon forfaict. O larron dirent les autres qu'as tu faict ? Malheur sur toy à jamais tu es damné car par ta confession mesme tu es seul cause que ce pauvre serviteur a enduré beaucoup de mal et de froidures aux pieds dont peut estre il est mort qui faict que ton ame estant damnée ton corps ne peut estre sauvé. Ce disant se ruèrent impétueusement sur luy et le prenant à belles dents le devorèrent. Ceste fable recitée par le seigneur ambassadeur pleut à tous qui ne l'estimèrent fable mais une pure vérité cachée soubs ce masque allegoric car par le loup et le regnard s'entendent les grands qui se pardonnans l'un l'autre tourmentent l'asne qui est le pauvre peuple lequel porte le fais de leurs meschancetez.