L'Ivrogne et sa Femme

"Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille"


Fiami a partagé cette fable avec des étudiants apprenant le français à la Société de lecture à Genève.

La fable manuscrite et colorée
par Fiami

L' Ivrogne et sa Femme
par Jean de La Fontaine

Chacun a son défaut, où toujours il revient :
Honte ni peur n'y remédie.
Sur ce propos, d'un conte il me souvient :
Je ne dis rien que je n'appuie
De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse.
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course
Qu'ils sont au bout de leurs écus.
Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il trouve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps :
Un luminaire, un drap des morts.
Oh! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ?
Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton
Masquée et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen d'enfer.
Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme.
La cellerière du royaume
De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la tombe noire.
Le mari repart sans songer :
Tu ne leur portes point à boire ?

 

 

La Femme et l'Ivrogne
par Esope


Une femme avait un ivrogne pour mari. Pour le défaire de son vice, elle imagina l’artifice que voici. Elle observa le moment où son mari engourdi par l’ivresse était insensible comme un mort, le chargea sur ses épaules, l’emporta au cimetière, le déposa et se retira. Quand elle jugea qu’il avait cuvé son vin, elle revint et frappa à la porte du cimetière : « Qui frappe à la porte ? » dit l’ivrogne. « C’est moi qui viens apporter à manger aux morts », répondit la femme. Et lui : « Ne m’apporte pas à manger, mon brave, apporte-moi plutôt à boire : tu me fais de la peine en me parlant de manger, non de boire. » La femme, se frappant la poitrine s’écria : « Hélas ! que je suis malheureuse ! ma ruse même n’a fait aucun effet sur toi, mon homme ; car non seulement tu n’es pas assagi, mais encore tu es devenu pire, et ton défaut est devenu une seconde nature. »

Cette fable montre qu’il ne faut pas s’invétérer dans la mauvaise conduite ; car il vient un moment où, bon gré, mal gré, l’habitude s’impose à l’homme.